Privatiser le non-emploi
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ILS PRIVATISENT MÊME LE CHÔMAGE
L'ensemble de l'assurance chômage (Unedic et Pôle emploi), un des piliers de la protection sociale, est en danger. La négociation entre patronat et syndicats autour d'une nouvelle convention Unedic pour 2014‑2017 débute le 17 janvier. Elle se déroulera sur deux mois pour décider du sort de l'indemnisation des chômeurs, du financement de l'assurance chômage et de Pôle emploi, établissement public chargé de l'accompagnement et du placement des demandeurs d'emploi ainsi que de leur indemnisation. Face à l'explosion du chômage et de la précarité, le gouvernement laisse s'organiser une privatisation du service public de l'emploi. Les moyens donnés à l'Unedic, qui accuse un lourd déficit et à Pôle emploi sont dérisoires. Il n'est plus question d'égalité d'accès à la recherche d'emploi sur les territoires. Nous révélons ainsi que Pôle emploi consacre
plus d'un milliard d'euros à l'externalisation de ses missions d'intérêt général à des entreprises privées. Lesquelles proposent de coûteux programmes d'accompagnement à l'emploi et d'insertion professionnelle, mais aussi des services aux entreprises en cours de restructuration qui veulent se débarrasser de leurs salariés.
L'opérateur public est engagé dans une réforme qui ne satisfait ni les agents, ni les demandeurs d'emploi, ni les entreprises. Les propos de François Hollande lors de ses voeux, ciblant les coûts sociaux du « pacte de responsabilité» proposé au Medef, ne sont pas faits pour rassurer. Il faut « moins de contraintes suries activités», a notamment déclaré le président de la République. Or, le financement des allocations‑chômage est pour le Medef, une de ces « contraintes». C'est donc le sort de l'assurance chômage qui est en jeu dans les prochains mois.
Thierry Brun, Politis 16 janvier 2014
LE MARCHÉ DU NON-EMPLOI
Les moyens manquent pour Pôle Emploi et le système d'assurance chômage. Conséquence, de plus en plus de prestations sont sous‑traitées au secteur privé, coûteux et peu efficace.
« Lors de son rendez‑vous, je dis au chômeur que je n'ai pas le temps de le recevoir et je lui propose de rencontrer un cabinet privé. Je vais donc faire une lettre de commande et prendre contact avec ce cabinet. Le rendez-vous sera facturé 800 euros à Pôle emploi. En cas de retour à l'emploi de plus de trois mois, six mois ou en CDI, une prime sera versée », raconte jean‑Charles Steyger conseiller à l'emploi à Nantes et délégué national du SNU Pôle emploi. Les entreprises concernées par ce genre de prestations sont des mastodontes comme
Altedia, Sodie, Adecco, Ingeus, Manpower, Randstad, des opérateurs privés spécialisés dans le reclassement, l'accompagnement de chômeurs et l'intérim. De nouveaux opérateurs locaux ont aussi fait leur apparition, décrochant des appels d'offres et des prestations aux tarifs variables selon les régions.
En outre, les démarches du demandeur passent non seulement par Pôle‑emploi.fr mais aussi par des sites Internet de recherche d'emploi comme Indeed, Leboncoin, Monster, Cadremploi, Meteojob, Doyoubuzz, etc. Ces entreprises se taillent la part du lion dans le marché des prestations de services aux chômeurs. Au point que « Pôle emploi a mis en place un système agrégeant tous les opérateurs de la recherche d'emploi, poursuit Jean‑Charles Steyger. La recherche sefaitsur les offres de Pôle emploi mais aussi sur celles des sites spécialisés. Nous sommes contraints d'informer et d'orienter les chômeurs sur ces offres privées, dont nous ne connaissons ni l'employeur ni les modalités
De nombreuses prestations de Pôle emploi ne relèvent plus de sa mission d'égalité d'accès aux droits des chômeurs. « Ils n'attendent rien de
Pôle emploi. C'est une machine à décourager les sans‑emploi. Tout est fait pour qu'ils ne viennent plus en agence », avoue amèrement Jean‑Charles Steyger. Pour compléter ce sombre tableau du service public de l'emploi, les compagnies d'assurances, comme Axa, ainsi que des industriels de différents secteurs, comme l'industrie automobile, ont investi le vaste marché de l'assurance chômage en proposant des assurances «perte d'emploi » aux chefs d'entreprise, aux artisans et surtout aux salariés aux revenus confortables.
Les assureurs privés présentent leur offre comme une complémentaire à l'assurance chômage pilotée par l'Unedic, organisme géré par le patronat et les syndicats, qui contribue en grande partie an financement de Pôle emploi. « Axa a même été chargé d'étudier la privatisation de l'assurance chômage », s'inquiète un syndicaliste de Pôle emploi. Signe que le système est mal en point, en septembre 2013, Carole Couvert, présidente de la CFE‑CGC, a menacé le gouvernement d'un passage à un dispositif de protection sociale privé pour les cadres si le plafond des indemnités chômage est abaissé lors de la renégociation, prévue à partir du 17janvier (voir encadré), de la convention d'assurance chômage.
Alors que le nombre des demandeurs d'emploi a bondi, les opérateurs privés cherchent à capter la manne de plusieurs dizaines de milliards d'entes de la protection des assurés contre le chômage. Car rien ne va plus au sein de l'Unedic, qui détermine le niveau d'indemnisation des chômeurs. Ses prévisions confirment « l'échec de la convention d'assurance chômage 2011‑2013», accusent les associations de chômeurs. Le déficit annuel de l'assurance chômage atteindrait 5,6 milliards d'émus en 2014, portant la dette à 24,1 milliards d'euros.
Le système est en train d'exploser du fait de la crise économique et de l'augmentation du nombre de demandeurs inscrits à Pôle emploi. O; sur les 5,2 millions inscrits (y compris les Dom) fin novembre 2013, « seulement 40% sont indemnisés, pour des durées manifestement trop courtes puisque 41 % des arrêts d'indemnisation sont motivés par une fin de droit et non par une reprise d'emploi (31 %), même précaire », déplore l'association Agir ensemble contre le chômage ! (AC!).
« La France brade les services aux chômeurs. On est dans un service low cost pour tes entreprises et pour les chômeurs », s'indigne JeanCharles Steyger. De plus, une part non négligeable de demanderas d'emploi disparaît des écrans radars des statistiques, ce que l'insee nomme le « halo du chômage ». « Il est de plus en plus difficile d'être reçu à Pôle emploi sans rendez‑vous. Pour un litige, il faut parfois des semaines. La première violence pour un chômeur est de rester sans réponse », souligne un membre d'AC de Nord‑Pas‑de‑Calais. « Nous vivons au quotidien la transformation du service public de l'emploi en enfer kafkaïen : 10000 radiations de plus entre septembre et octobre 2013 », lance le Mouvement national des chômeurs et précaire CMNCP).
Pôle emploi, qui a lancé fin 2013 une consultation sur le recours aux opérateurs de placement de « Le service chômeurs, ne voit aucun inconvénient à la privatisation rampante.La"mobilisation » des opérateurs privés, « dans un contexte de forte montée du chômage, constitue pour Pôle emploi un moyen d'adaptation de ses capacités à la conjoncture », avoue même avec un certain cynisme la direction de Pôle emploi, dans une note interne datée de novembre 2013, que Politis s'est procurée.
Ainsi, une gronde pondes prestations est externalisée, comme les ateliers pour apprendre à rédiger un CM les évaluations et l'accompagnement vers un emploi. « Cela se chiffre à plus de 680 millions d'euros de sous‑traitance en 2012 pour ce qui concerne les opérateurs de placement. Notre coeur de métier est réalisé par le privé. Nous avons aussi 300 millions d'euros de sous‑traitance informatique chaque année. EtPôle emploi fait appel à des cabinets privés pour des conseils en stratégie, autour de 20 millions d'euros. On atteint le milliard !, affirme jean‑Charles Steyger. Si cette privatisation continue, on sera restreint à un socle de services debase, c'est‑à‑dire l'inscription et l'indemnisation du chômeur. »
Les prestations d'accompagnement réalisées par les opérateurs privés ont été chiffrées à plus de 131 millions d'euros en 2012, pourprés de 241 000 demandeurs, indique la note interne de la direction de Pôle emploi. Pour quel résultat ? « Le Crest, organisme d'évaluation des politiques publiques, a été clair: il y a moitié moins de placements dans le privé qu'à Pôle emploi, explique jean‑Charles Steyger. De plus, les conditions d'accueil des opérateurs locaux laissent parfois à désirer. Par exemple, en Poitou‑ Charentes, l'un d'eux recevait les chômeurs dans un ancien hangar, sans chauffage ni électricité, facturant à Pôle emploi 600 euros par personne. »
Main Marco, porte‑parole d'AC!, dénonce l'opacité de Pôle emploi « Ce qui nous fait pensera la privatisation, c'est l'attitude de la direction. Dans les comités de liaison et les réunions avec la direction, nous n'avons jamais eu de réponse sur le montant attribué aux prestataires extérieurs. Pourtant, tout est fait pour que la dématérialisation des prestations puisse passer au privé. » L'opérateur public a aussi ouvert le marché des licenciés économiques : « Sept chômeurs sur dix sont suivis par un opérateur privé, avec des géants comme la Sodie, qui sont très chers et dont les résultats ne sont pas bons », relève Jean‑Charles Steyger.
Dans un manifeste intitulé « Pour repenser et refonder Pôle emploi », le SNU Pôle emploi, syndicat majoritaire, demande de «repenser la logique gestionnaire et managériale » du pilier de la gestion du chômage dont le financement est assuré pat les dotations de l'État et surtout celles de l'Unedic, qui recueille les cotisations sociales, en baisse du fait de la faiblesse du nombre d'embauche. « Nous demandons que l'État garantisse a minima 50 % du budget de Pôle emploi, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui », revendique Jean‑Charles Sreygei dont le syndicat demande la fin de la sous‑traitance et l'embauche de plusieurs milliers d'agents à Pôle emploi. La négociation autour de l'assurance chômage sera donc un enjeu majeur pour l'avenir du service public de l'emploi.
Thierry Brun, Politis 16 janvier 2014
Les associations se mobilisent
Les quatre associations de chômeurs (Ac, Apeis, CGT chômeurs et MN CP) seront dans la rue le 17 janvier, devant le siège du Medef à Paris, alors que doit débuter la négociation entre le patronat et les syndicats de l'Unedic, organisme de gestion de l'assurance chômage. La négociation, qui doll durer plusieurs semaines, portera sur de nouvelles règles pour l'indemnisation des chômeurs et le taux de contribution des salariés et des entreprises pour la période 2014‑2017. Et ce dans un contexte de déficit du régime d'assurance chômage, qui pourrait atteindre 4,4 milliards d'euros en 2014. Le Medef a prévenu qu'il n'accepterait pas de hausse des cotisations. 0e leur côté, les associations de chômeurs pointent l'échec de la convention d'assurance chômage 2011‑2013. Les collectifs AC! demandent « l'indemnisation de toutes les formes de chômage et de précarité parla garantie d'un revenu personnel en aucun cas inférieur au Smic mensuel »,
Politis 16 janvier 2014
La galère des intermittents
Maud Alessandrini est une « matermittente » enceinte et intermittente. Ou plutôt elle l'était, car elle a perdu son statut pendant sa grossesse.., il y a trois ans. Elle n'a pourtant touché encore aucune indemnité pour son congé maternité. Depuis 2003, les intermittentes ont droit à ce congé. Saut que les calculs de Pôle emploi et de la Caisse primaire d'assurance maladie ne correspondent pas. Si Maud répondait aux critères du premier pour être reconnue comme intermittente ‑ avoir travaillé au moins 507 heures les JO derniers mois comme réalisatrice et monteuse ‑,elle ne collait pas à ceux de la seconde avoir effectue 800 heures dans les 12 derniers mois ou 200 heures les trois derniers. Pôle emploi a dû s'aligner, et Maud pâtit d'une période d'inactivité sur son CV, un « trou » sans lien avec la réalité. Le procès qui l'oppose à la CPAM doit se tenir à Versailles le 21 janvier, Devenue auto‑entrepreneuse, elle s'insurge contre un vide juridique qui exclut un certain nombre d'intermittents : « Pour les congés maladie, c'est le même problème.»
Et puis un jour ça pète
« La personne ne s'est pas manifestée.» C'est ce que confie Gilles Biolley, journaliste à Charente Libre, qui a sorti l'affaire le 9 décembre, un demandeur d'emploi a été victime d'un tir de Taser dans les locaux de Pôle emploi, à Cognac. La directrice ne souhaitant pas s'exprimée, la seule version disponible des faits est celle de la police.
Un jeune homme de 23 ans, « en grande difficulté sociale », se serait énervé. Comme il devenait agressif envers les employés, la police a été appelée. Plusieurs agents seraient intervenus. Ne parvenant pas à calmer l'homme, ils lui ont administré un coup de Taser. Les cas de rébellion augmentant à Cognac, « ville tranquille », la police estime avoir fait ce qu'il fallait pour « éviter une grosse bagarre ». Le jeune homme est convoqué en mars au tribunal d'Angoulême pour outrage et rébellion.
Pourquoi un tel énervement ? Pourquoi plusieurs officiers entraînés ont‑ils été dépassés par une seule personne ? Dans un communiqué, AC Gironde dénonce « la répression sauvage et brutale, les radiations administratives et le manque d'humanité à l'accueil des Pôle emploi ». L'association de défense des chômeurs, rare réaction à cette affaire, en sus de quelques lecteurs sur le site Internet du journal, rappelle que « les chômeurs ont des droits qui sont souvent bafoués par l'institution ».
« Des demandeurs d'emploi qui pètent les plombs parce qu'ils en ont assez d'être maltraités, c'est fréquent, confirme Jodle Moreau, d'AC Gironde. Récemment, l'un d'eux a menacé un salarié. On déplore des actes de violence des deux côtés. Mais, le plus souvent, les gens sont pris à part et, quand ils se sentent écoutés, ils se calment. L'affaire de Cognac révèle une addition d'incompétences. L'utilisation du Taser est inadmissible. » Le degré de violence ne semble pourtant choquer personne ou presque. « La vérité, précise‑t‑elle, c'est qu'il n'y a pas de travail, que les salariés de Pôle emploi sont en sous‑effectif et que le plan 2012‑2015 fait tout pour éloigner les demandeurs des conseillers. Cela engendre des tensions qui vont croissant. »
I. M., Politis 16 janvier 2014