LA LANGUE ET SES GÉNIES
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Sur quelques liens entre le langage, la réalité et les émotions.
"Pour tout un chacun, sa façon de dire le monde est la meilleure qui soit. Personne ne pense : « Ce que je pense est faux, ou idiot ; le monde n'est pas tel que je dis qu'il est ». Pour les gens qui en parlent, ce qu'ils en disent, dit bien le monde. Car ils en parlent ensemble, en agissant."
"Les mots et les propositions ne sont pas les étiquettes de choses ni d'actions objectives, mais des opérations par lesquelles on les fait émerger dans un monde consensuel."
"La société est constituée d'individus hétérogènes qui interagissent de façon non-hiérarchique pour leur avantage mutuel. C'est un milieu où chacun dépend des autres, où les différences sont désirables et contribuent à l'harmonie du tout. Les valeurs sont toutes reliées entre elles et ne peuvent être classées selon un ordre où les unes seraient supérieures aux autres. Dans ce paradigme, on considère les complexités comme des systèmes, en équilibre relativement aux interactions des éléments qui les composent. Il n'y a pas d’instance première. Les causalités ne sont pas linéaires, mais circulaires. On explique ce qui se passe par les interactions entre les éléments du système, sans leur attribuer de cause."
"Les individus hétérogènes interagissent de façon non-hiérarchique pour leur avantage mutuel, en générant de nouveaux équilibres. L'harmonie est en perpétuel changement et les significations multiples."
"il n’y a pas de monde réel avec des choses préexistantes qui attendraient d’être nommées. Les objets surgissent du néant, avec nous, au cours de nos actions. Le domaine où ils apparaissent est un domaine de cohérence interactionnelle. Ils émergent dans ce que le biologiste systémicien Humberto Maturana appelle la « convivance », c’est à dire dans des coordinations de coordinations de conduites qui constituent le langage en tant que processus, dans la praxis du vivre."
"Ce qu'on appelle « réalité » dépend du point de vue de l'observateur dans l'interaction".
"Aucun geste n'a de valeur universelle, et l'intention que le récepteur attribue à l'émetteur d'un signe verbal ou non-verbal dépend de la cohérence de ses expériences."
"Comme on peut pas ne pas communiquer quand on est en présence de quelqu'un et que c'est toujours le récepteur qui produit le sens d'un message, nous sommes souvent malgré nous en train de dire des choses, de manière non-verbale, sans en avoir l'intention."
"Les conversations ne sont pas seulement des successions d'énoncés prononcés par des gens, mais une mise en relation d'êtres humains qui ont un corps et qui bougent dans un espace. La façon de se tenir, les mimiques, les attitudes, la tonalité de la voix, les bruits que l'on produit avec la bouche ou autrement, les mouvements que l'on opère dans l'espace, tout cela participe de l'événement qu'on appelle conversation, au cours duquel deux interlocuteurs ou plus font émerger un domaine cognitif consensuel local où se coule le flux de leur action de vivre le temps présent."
"La conversation s'organise dans le non-verbal comme une sorte de ballet dont la chorégraphie serait co-pilotée par les interactants au cours de l'interaction, selon des règles implicites qui participent de leurs expériences passées et de celles inscrites dans le corps social de leurs cultures. Tandis que les énoncés tracent le cours de ce qui est dit, le non-verbal définit le cadre relationnel où cela est dit."
"Chacun se trouve dans le monde de l'autre sans y être de la manière dont il le pense et sans savoir en fait comment s'y trouve son interlocuteur."
"En général, les êtres humains poursuivent régulièrement leurs conversations avec des individus de leur communauté linguistique et culturelle. Ils ont ainsi l'impression que la réalité est quelque chose de stable et de définitif."
". Il n'y a pas de domaine cognitif que l'on puisse qualifier d'interculturalité, mais seulement des moments où la relation peut être qualifiée d'interculturelle. La capacité d'émotionner et de langager dans deux langues-cultures différentes permet d'opérer selon un processus que Maruyama, lui-même né Japonais et devenu Américain, appelle « transpection ». En quelque sorte, il s'agit, comme dans la vision binoculaire, d'introduire une dimension supplémentaire dans la perception de la relation, grâce à quoi l'on peut voir ce que l'autre voit qu'on voit."
"Nous apprenons à percevoir le monde selon les assemblages de mots qui sont à l'œuvre dans les paroles liées aux faire des gens de « notre » monde. En quelque sorte, chaque être humain est une incarnation du monde culturel dans lequel il agit. On peut supposer que la voie mentale suivie par son esprit pour se faire chair s'opère selon le processus que F. Varela nomme « enaction », qu'il décrit comme « l’avènement conjoint d’un monde et d’un esprit à partir de l’histoire des diverses actions qu’accomplit un être dans le monde."
"Le « réel » est un domaine partagé par ceux qui le font émerger dans le cours des coordinations de leurs coordinations d'actions."
"Les systémistes de l'école de Palo Alto aimaient comparer la conversation à un ballet joué par les protagonistes, qui en écriraient conjointement la chorégraphie sur des partitions dont ils ignorent les règles."
« Tout acte dans le langage fait émerger un monde créé avec les autres dans l'acte de la coexistence qui donne naissance à ce qui est humain » Humberto Maturana, Francisco Varela, L'Arbre de la Connaissance. (http://inventin.lautre.net/livres/Maturana-L-arbre-de-la-connaissance.pdf)
Paul Castella, La langue et ses génies
sur quelques liens entre le langage, la réalité et les émotions.
Colloque « Art, interculturel et apprentissage des langues et des cultures », Angers, 7 septembre 2011. (extraits)
http://inventin.lautre.net/livres/Paul-Castella-La-langue-et-ses-genies.pdf