RÉVOLUTION AU ROJAVA OU NOUVELLE MYSTIFICATION ?

Publié le par Feignasse irrécupérable

 

« Révolution au Rojava » ? « Antiétatique » ? « Anticapitaliste » ? Ou encore une nouvelle mystification ?

La question essentielle que nous devons nous poser à propos du Rojava est la suivante : ce que d’aucuns appellent la « Révolution du Rojava » est-elle vraiment une révolution sociale ou, mieux dit, s’inscrit-elle bien dans une dynamique de destruction de l’ordre social présent (c’est-à-dire l’ordre capitaliste) ? Ou, au contraire, ne s’agirait-il pas plutôt d’un processus d’instrumentalisation et d’encadrement par des institutions sociale-démocrates (et donc bourgeoises), sous couvert de « libération sociale », d’un authentique mouvement de révolte contre la misère et la répression étatique, afin de mieux justifier leurs « luttes de libération nationale » ?

Le mouvement révolutionnaire a naturellement cherché la réponse à cette question dans des discussions et des confrontations de points de vue, de témoignages et d’analyses souvent divergents, confus et complexes. Notre groupe « Guerre de Classe » a également pris part à ce débat, et nous avons publié une sélection de contributions au débat sur notre blog.

Et nous pouvons dire que ce débat a conduit à une seule conclusion : que la fameuse « Révolution du Rojava » ne fait aucunement partie de la dynamique révolutionnaire « anticapitaliste » et « antiétatique ». En fin de compte, elle n’est rien de plus qu’une variante locale de la « Révolution bolivarienne » ou du « Socialisme du 21ème siècle », contrôlée et limitée par une puissante machine de propagande combinant le « municipalisme libertaire », le marxisme-léninisme et la « libération nationale ».

Ceux qui nient cette conclusion aujourd’hui ne le font pas parce qu’ils seraient lents à comprendre ou mal informés. Ce sont simplement des adeptes de la réforme du Capital, se contentant de le repeindre en « rouge », ce sont des tenants de la stratégie consistant à tout changer afin que l’essentiel reste le même. Et aujourd’hui, si nous entendons surtout les voix des partisans du Rojava au niveau international (cependant moins qu’auparavant), c’est parce que pour les révolutionnaires cette question a déjà été résolue et que leur attitude critique envers le Rojava reste inchangée (ce qui n’exclut pas que le mouvement prolétarien dans la région reprenne son souffle dans le futur et s’oppose à la récupération social-démocrate de sa lutte, ce que nous, en tant que communistes, soutenons pleinement).

D’importants secteurs de « l’anarchisme » (officiel et même moins officiel) se déclarent être les farouches partisans de la « Révolution au Rojava », qui serait une « véritable révolution » selon « l’éminent » intellectuel David Graeber. Celle-ci est animée et dirigée par une série d’institutions comme par exemple des « assemblées populaires », des « cantons », des « communes », des « municipalités » qui globalement et fondamentalement n’empêchent pas (et n’ont historiquement en soi jamais empêché) la reproduction des mêmes rapports sociaux que ceux qui dominent à l’échelle de la planète.

Sommes-nous naïfs ou stupides de croire « les anarchistes » lorsqu’ils déclarent allègrement dégueuler « le travail, la justice et l’armée » ?

En effet, l’exploitation au travail est effectivement réalisée au Rojava par le biais de « l’économie sociale » et de ses « coopératives » où le (la) prolétaire est toujours aussi solidement rivé(e) à « son » outil de travail, à « sa » machine, à « son » lieu de travail, aux exigences de rentabilité de « son » économie locale, cantonale et « libertaire », bref à « son » exploitation qui par la magie des mots parviendrait à « s’humaniser ». C’est toujours au nom du « réalisme » et du refus des critiques caricaturées comme étant « ultragauchistes » que le travail règne en maître absolu sur la région ; travail évidemment salarié, même si l’approvisionnement en papier monnaie, en étrons monétaires ou encore en valeurs sonnantes et trébuchantes n’est pas toujours assuré pleinement pour cause de guerre.

« Les anarchistes » ont toujours déclaré leur haine de l’Etat et de la Nation… Pourtant le Rojava dispose de toutes les caractéristiques de l’État… Bien que certains qualifie le Rojava de « proto-État », c’est-à-dire qui « dispose d’un certain nombre de caractéristiques propres aux États modernes sans réunir la totalité de celles-ci », pour notre part, notre conception critique de l’État nous détermine à ne voir dans ces entités rien d’autre qu’une matérialisation de l’État des capitalistes. Au-delà du concept d’État-Nation, l’État est un rapport social, composé de divers appareils : gouvernement, parlement, police, armée, patronat, syndicats, partis politiques, école, famille,… combinés à de multiples idéologies qui lui donnent force : parlementarisme, religion, positivisme, autoritarisme… Au niveau actuel du développement des sociétés de classe dont le capitalisme est l’ultime aboutissement en tant que synthèse des modes de production antérieurs, l’État ne peut être que l’État des capitalistes, le capitalisme organisé en État, en force sociale imposant la dictature de la valeur sur l’humanité. C’est donc pour nous une incongruité que de parler de « proto-État »… Quant à la nation, est-il bien nécessaire de rappeler le fondement nationaliste du « mouvement de libération kurde » ?

« Les anarchistes » ont toujours exprimé leur mépris envers le gouvernement, le parlementarisme et les élections… Mais le Rojava est dirigé par une infinité de parlements, qu’ils s’appellent « assemblées populaires », « conseils », « communes » ou « municipalités » importe peu si leur contenu pratique consiste toujours à gérer le rapport social dominant (avec un « visage humain » ou plutôt avec une grimace d’humanité) au niveau planétaire (c’est-à-dire le capitalisme, même s’il est repeint en rouge ou en rouge et noir). Toutes ces structures s’organisent au niveau local d’une rue, d’un quartier, d’un village, d’une ville, d’une région et participent toutes du principe électoral. Enfin, au niveau supérieur décisionnel, les « cantons » possèdent leurs propres gouvernements ainsi que leurs ministères et les ministres y afférents. En opposition à ce que nous revendiquons comme organisations territoriales : « Unionen » en Allemagne en 1919/20, « Shoras » en Irak en 1991, etc., ce qui compte, c’est le contenu de subversion de ce monde afin de « rendre l’affaire non rentable pour les capitalistes » (dixit le KAPD)…

« Les anarchistes » prétendent être allergiques à tout concept de « parti » qu’ils réduisent aux partis politiques bourgeois, qu’ils se présentent aux élections ou non, voire même aux partis bolcheviks et léninistes. Mais soudainement, il y a des partis politiques qui comblent de joie ces mêmes « anarchistes » : il s’agit du PKK (« Parti des Travailleurs du Kurdistan ») en Turquie et du PYD (« Parti de l’Union Démocratique ») en Syrie. Ces partis, et encore plus le PYD que le PKK, développent une politique diplomatique tout ce qu’il y a de plus classiquement bourgeois, allant jusqu’à ouvrir des « bureaux » (des ambassades en quelque sorte) à Moscou et à Prague. Le PYD est même allé, lors d’une grande tournée européenne, jusqu’à « faire le tapin » au Palais de l’Elysée en février 2015, où certains de ses représentants les plus illustres ont été reçus par « Monsieur le Président » (de l’époque) François Hollande en personne.

Pour d’importants secteurs de « l’anarchisme », pour les libertaires, les événements au Rojava seraient d’inspiration et d’essence libertaire, de nature antiétatique et anticapitaliste. Ou à tout le moins, la « Révolution au Rojava » ne répondrait plus aux critères classiques des « luttes de libération nationale » mais sa structuration idéologique découlerait directement des écrits de l’intellectuel libertaire américain Murray Bookchin et de ses principes de « communalisme », de « municipalisme ». D’aucuns s’aventurent même à comparer le Rojava à l’Espagne des années 1930.

Pour l’autre famille politique (concurrente mais néanmoins complémentaire de la précédente), pour cette famille idéologique qui se réclame peu ou prou du « marxisme », il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elle mette en avant précisément « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », cher à Lénine, aux bolcheviks, à la Troisième Internationale, et à leurs héritiers marxistes-léninistes, staliniens, trotskistes, etc. On a même pu lire dans un article paru dans le journal français « L’Humanité » que la « Révolution au Rojava » exprimerait une nouvelle forme de « socialisme à visage humain »…

Le concept de « confédéralisme démocratique », développé théoriquement il y a quelques années par le leader du PKK Abdullah Öcalan, concept populaire et à la mode notamment dans les milieux libertaires (mais pas seulement là), prétend critiquer l’État-Nation, et par conséquent la création d’un nouvel État-Nation kurde n’est plus son objectif politique (selon le « nouveau paradigme » du PKK). En plus de la « démocratie directe », le but immédiat déclaré du « confédéralisme démocratique », c’est le « municipalisme libertaire », dans lequel les « assemblées populaires » jouent un rôle clé ; ainsi que l’autonomie régionale de chaque « entité kurde » par le biais d’organisations cantonales et municipales au sein de chaque État-Nation. Comme on peut le voir ici, l’idéologie révisée de la libération nationale (dans sa version du « confédéralisme démocratique ») affirme que, bien sûr, après un ravalement de façade et quelques réformes mineures, elle veut conserver les États-Nations existants. Dans la conception du PKK, la « décentralisation » et « l’autonomie » s’opposent au « centralisme » de l’État-Nation, à son chauvinisme, et elles sont présentées comme les facteurs de l’affaiblissement de l’État. Un représentant du KCK (l’une des innombrables organisations proches du PKK) à Diyarbakir, au Kurdistan turc, déclare dans une interview qu’il s’agit de « rétrécir l’État »…

Le PKK navigue donc dans les mêmes eaux que les zapatistes, si appréciés par le Mouvement de libération nationale kurde. Selon nous, communistes, anarchistes, internationalistes, il est au contraire clair (à la différence de tous ces réformateurs du Capital) que l’État ne peut pas être « rétréci », on ne peut pas construire quelque chose « au-delà de l’État », mais il doit être aboli de fond en comble et toutes les bases matérielles qui lui donnent vie doivent être subverties, éradiquées…

Certains libertaires soutiennent également ouvertement et sans hésitation la « Révolution du Rojava » parce qu’elle apporte, selon leurs propres termes, des « formes antiétatiques de libération nationale ». Rappelons donc pour une énième fois que tout nationalisme, qu’il s’agisse d’une « petite » ou d’une « grande » nation, est historiquement chauviniste, expansionniste, impérialiste… et donc étatique ! Il suffit de voir aujourd’hui comment les trois cantons formant initialement le Rojava en 2014 se sont développés de manière exponentielle (le Rojava est aujourd’hui constitué de sept cantons) pour former une zone sous contrôle politico-militaire du PYD et de ses milices YPG/FDS représentant un quart du territoire de l’État-Nation syrien, s’étendant même au-delà de l’ancienne capitale de l’autoproclamé Califat de l’État islamique (la ville de Raqqa, reprise en octobre 2017 après des mois de combats et de bombardements intensifs qui n’ont laissé que des ruines et des milliers de cadavres), s’étendant jusqu’aux confins du désert de la province de Deir-ez-Zor, très loin du Rojava. Cette nouvelle entité administrative, soutenue peu ou prou par ses fournisseurs d’armes que sont les USA, a momentanément délaissé le nom de Rojava (qui sonne « trop » kurde) pour la très bureaucratique appellation de « Fédération Démocratique de Syrie du Nord » (depuis 2018 « Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie »), qui recèle nettement moins d’aspects « romantiques » mais qui fait beaucoup plus « sérieux » sur la scène diplomatique internationale.

Le « nouveau » paradigme idéologique appelé « confédéralisme démocratique » n’est finalement rien d’autre qu’une vulgaire imposture portant tant bien que mal les habits de la « révolution », sentant le vague goût de la « révolution » mais n’ayant absolument rien en commun avec un minimum de début de dynamique poussant au renversement des rapports sociaux capitalistes dominants.
Attardons-nous aussi un instant sur l’un des piliers de ce « nouveau » progressisme largement distillé pour justifier le caractère révolutionnaire du mouvement social au Rojava : la « multiethnicité » et le « multiculturalisme » tellement vantés par tous les canaux de propagande des appareils idéologiques sévissant tant au Rojava qu’agissant ailleurs dans le monde en sa faveur.

Ce qui nous importe, nous, prolétaires révolutionnaires, militants communistes ou anarchistes (au-delà des étiquettes), ce n’est pas ce qui nous « différencie », ce n’est pas notre « singularité », le fait que nous soyons « tchèques » ou « français » ou « britanniques » ou « américains » alors que d’autres sont « kurdes » ou encore « assyriens » ou « chaldéens » ou « sunnites » ou « chiites », etc. Ce qui nous importe au contraire, c’est ce qui nous unifie en tant que communauté humaine et militante contre la dictature globale et universelle du Capital qui se matérialise pour nous tous par l’exploitation, l’aliénation, la marchandisation de nos corps et de nos vies, la misère, la guerre, la mort… Ce qui nous importe, c’est d’afficher et d’affirmer haut et fort notre mépris pour toute communauté nationale, communauté de citoyens, communauté populaire, pour toute communauté démocratique au sens profond de ce qu’est la démocratie, c’est-à-dire non pas une simple forme (démocratie parlementaire, « ouvrière », directe, cantonale, municipale, etc.) mais bien l’essence du capitalisme et donc la négation de l’antagonisme de classe et la dilution du prolétariat (classe révolutionnaire) dans cette entité bourgeoise qu’est le Peuple, la Nation et in fine l’État. Ce qui importe avant toute chose, c’est le fait que nous soyons, ou devenions, frères et sœurs de misère et d’exploitation, frères et sœurs de révolution, et que nous le reconnaissions consciemment.

L’humanité a été séparée d’elle-même, de la nature, de son activité et de sa production, pour être transformée en esclaves, en serfs et en prolétaires modernes. Les hommes sont séparés de leur véritable communauté humaine et ils sont reliés en une fausse communauté multi-« quelque chose » : multiethnique, multiculturelle, multinationale… L’internationalisme n’est pas l’addition de divers ou même différents nationalismes, voire même de tous les nationalismes, mais au contraire sa négation complète et accomplie…

Auxiliaires militaires ? Nous voudrions ajouter un autre élément important à la critique de la « Révolution du Rojava » développée dans différentes contributions sur notre blog : l’aide du Capital international que le Rojava a reçu. L’aide de l’OTAN, de l’UE, de différents États nationaux et d’autres institutions capitalistes, une aide qui ne fait que confirmer le caractère bourgeois de ces organisations qui prétendent représenter le mouvement social de subversion de ce monde au Rojava.

En ce sens, au sens de la politique bourgeoise classique, il n’y a pas lieu de s’étonner ou de s’offusquer de voir le PKK/PYD rencontrer ses partenaires (à Washington comme à Paris ou à Moscou…) afin de renforcer leurs relations et de discuter de leur coopération militaire ainsi que du business de la reconstruction au Rojava et à Kobanê… Pour la France, il était également nécessaire, surtout à la lumière des attentats contre « Charlie Hebdo » en janvier 2015, de promouvoir dans les médias une image de rapprochement officiel et d’alliance avec les forces qui combattent sur le terrain le djihadisme, le « radicalisme », « l’islamo-fascisme »…

Soulignons au passage ces « amitiés particulières » qui mettent en avant la complicité évidente de ces organisations « révolutionnaires » du Rojava avec nos ennemis de classe au moment même où l’État capitaliste (en France, en Belgique, en Allemagne, en Espagne,…) initie, développe, renforce de nouvelles mesures et campagnes dites « antiterroristes », qui prônent « l’unité nationale », « l’union sacrée », « la défense des valeurs républicaines », le « vivre ensemble » et in fine la regroupement du peuple autour de la « Démocratie en danger », c’est-à-dire la dictature capitaliste tant honnie par les exploités. Ces campagnes terroristes de l’État visent d’abord et officiellement à lutter contre l’islamisme mais constituent dans un second temps (et c’est là leur but initial et essentiel) de nouveaux outils encore plus puissants dans la lutte contre la subversion, contre la réémergence de la guerre de classe, contre la révolution sociale mondiale à venir. Pour nous, définitivement et contrairement aux cercles gauchistes, il n’y a aucun « moindre mal » qui vaille la peine d’être soutenu…

Vraiment, quelle intéressante « révolution », « anticapitaliste » et « antiétatique », qui présente toutes les caractéristiques d’un État avec un gouvernement dirigé par le « parti unique » PYD, des ministères, une multitude de mini-parlements, des cours de justice, une « Constitution » (appelée « Contrat social »), une armée (les milices YPG/YPJ de plus en plus militarisées), une police (les Asayish) qui impose l’ordre social interne (avec également ses « unités spéciales antiterroristes » dont les Rambo n’ont rien à envier à leurs collègues assassins de corps équivalents comme les « SWAT » aux Etats-Unis d’Amérique, les « Spetsnaz » en Russie, les « GIPN » et « GIGN » en France, etc.).

« Révolution » d’autant plus intéressante qu’elle « bouffe à tous les râteliers » : les YPG/YPJ ne sont rien d’autres que des auxiliaires militaires des puissances capitalistes, leurs supplétifs sur le terrain, face à un « ennemi commun » (l’État islamique). On ne compte plus les offensives menées conjointement par les YPG/YPJ et les autres FDS :
    •    avec l’US Air Force,
    •    avec les « Bérets verts » (ces putains de tortionnaires des forces spéciales américaines),
    •    avec l’aviation russe,
    •    avec l’armée syrienne de Bachar (avec lequel le PYD cogère la ville de Qamishli, entre autres) et son aviation qui bombarde les quartiers rebelles (il ne s’agit pas forcément d’Al-Nusra et autres djihadistes !),
    •    avec le Hezbollah libanais,
    •    les « Gardiens de la Révolution» iraniens (massacreurs de nos frères et sœurs de classe),
    •    et ainsi de suite, ad nauseam !
    
On peut donc féliciter le Rojava qui a permis aux assassins de l’US Air Force de pallier aux difficultés d’utilisation de la base aérienne d’Incirlik de leur allié turc. Le Rojava n’est pas encore membre de l’Alliance Atlantique (OTAN), mais encore un petit effort « camarades »… Tout le baratin sur la « démocratie sans État », l’anticapitalisme et la révolution n’est rien d’autre que de la poudre aux yeux à destination des milieux gauchistes (libertaires et marxistes-léninistes) toujours prêts à se satisfaire d’un « moindre mal » et d’une réforme du capitalisme.

Il n’y a pas lieu de s’étonner ou de s’offusquer du fait que le PKK/PYD, les YPG/YPJ aient annoncé ouvertement leur collaboration (soit simultanément, soit à tour de rôle) avec les USA, la Russie ou la Syrie. Hier, ils collaboraient déjà avec le Hezbollah, le régime syrien d’Assad père : Ocalan et toute la direction du PKK avaient installé leurs quartiers à Damas avant que les alliances ne soient renversées vers 1998 !!! De même, le PKK a signé des accords de paix avec la Turquie en 2013, accords qui ont tenu jusqu’en 2015, non pas parce qu’ils auraient finalement été dénoncés par le PKK (censé être anti-étatiste) mais parce que ceux-ci ne correspondaient plus aux nécessités impérialistes turques…

Alors que les forces du régime Assad ne cessaient de bombarder lourdement la région d’al-Gutta, tenue par les rebelles, à l’est de Damas, ce même régime envoie des troupes paramilitaires (des milices chiites proches de l’Iran) pour défendre le canton d’Afrine qui venait d’être envahi en février 2018 par l’armée turque et ses supplétifs islamistes. L’intervention des forces syriennes se fera à la demande des milices du PKK/PYD, des YPG/FDS, dans le cadre d’un accord politico-militaire concret entre les deux parties : la « Révolution du Rojava » et le régime baathiste.

Et dans les rangs des Rojavistes, il n’y a absolument aucun problème avec cela et il est tout à fait normal pour eux que ces bouchers viennent aider à sauver le « confédéralisme démocratique » de l’agression turque. L’Administration du Rojava a également appelé les forces de Damas à protéger les frontières nationales et l’intégrité de la Syrie. Qu’est-ce que ça veut dire de prétendre refuser le concept d’État-Nation (selon le « nouveau paradigme » du PKK) quand dans le même temps (peut-être pour des raisons « tactiques et temporaires » comme le justifient les Rojavistes), ils font alliance avec l’État-Nation syrien, ils appellent à la défense de ce dernier, « un État souverain » ?

Comment les partisans de la « Révolution au Rojava » peuvent-ils fermer les yeux sur ces faits ?

La Turquie, la Syrie, les USA, l’UE, les monarchies du Golfe, la Russie, l’Iran, et même les « proto »-États comme le Rojava et l’État Islamique… tous ces États, tous les États s’entendent copains comme cochons avec plus ou moins de bonheur selon les circonstances géostratégiques et la défense de leurs intérêts nationaux et nationalistes particuliers ; ils s’entendent sur le dos de la piétaille, c’est-à-dire nous tous, les exploités, les prolétaires.

Et les mêmes partisans de la « Révolution du Rojava » justifient cette collaboration en argumentant que : « Dans les années 1930, les anarchistes espagnols ont accepté des armes de l’Union soviétique, bien qu’ils étaient parfaitement conscients que les conditions liées à ces armes étaient destinées à saper la révolution. » Si des puissances contre-révolutionnaires (hier l’URSS, aujourd’hui les USA, la Russie, l’UE, etc.) fournissent un quelconque armement, un quelconque approvisionnement logistique, c’est bien sûr en ayant leurs propres intérêts à défendre, avec leur propre agenda en tant que puissances. Et à l’époque, beaucoup de nos camarades en Espagne pensaient et aujourd’hui les combattants du Rojava pensent que ce n’est pas eux qui seront utilisés par ces puissances capitalistes, impérialistes mais bien qu’ils les utiliseront dans une sorte d’alliances « tactiques et temporaires ». La réalité a montré et montre encore l’évidence que tout cela est complètement faux. Après avoir lutté contre le fascisme, pour la défense de la république bourgeoise et refusé de mettre en avant les besoins réels de la révolution sociale (par exemple à travers l’auto-proclamée « dictature de l’anarchie »), le prolétariat en Espagne a été obligé d’accepter la dissolution des milices ouvrières et donc la militarisation de ces dernières, abandonnant ainsi leur « esprit révolutionnaire » sur l’autel d’un « moindre mal » à défendre, d’une « révolution » à faire « après » la victoire sur le fascisme qui n’a jamais eu lieu…

Si effectivement la révolution aura besoin d’armes, de fusils, de canons, de missiles et sûrement de bien d’autres choses encore, ce dont la révolution sociale a le plus besoin, c’est d’une perspective claire sur ce qui doit être fait et avec qui. Il en va de même lorsque les travailleurs prennent « leurs » usines en main et les gèrent ; et rappelez-vous les commentaires cyniques mais néanmoins quelque peu perspicaces de Léon Blum sur l’occupation des usines en France en 1936 : « les ouvriers occupent l’usine, mais il est vrai que l’usine occupaient les ouvriers », leur donnant quelque chose à faire (autrement dit : les détourner de leurs tâches de destruction des rapports sociaux capitalistes)… Le problème n’est pas tant d’occuper les usines et de prendre en main les moyens de production, mais à partir de là, de savoir ce que l’on en fait, ce que l’on produit, et à quelles fins…

La « question militaire », l’usage des armes, n’est pas séparée de l’ensemble des tâches militantes révolutionnaires à assumer, à prendre en charge, ce n’est pas une question à part. Ce n’est pas la question militaire qui dirige le mouvement social mais le contraire. Cette question est très aiguë concernant ce qui se passe au Rojava : nous avons été littéralement submergés par un tel flot de communiqués de guerre sur la situation militaire à Afrine (et avant c’était à Manbij, Raqqa, Deir-Ezzor, etc. toutes les régions englouties par l’« auto-administration » du Rojava). Il n’y a pas d’issue ni d’explication à donner sur la façon dont une lutte « révolutionnaire » pourrait si facilement collaborer directement avec l’US Air Force, les Special Forces américaines (les Bérets verts), avec le fait que le quartier général de l’US Army était situé à Manbij (territoire sous contrôle des YPG/FDS), qu’il y avait plus de 2.000 soldats américains au Rojava, que les États-Unis disposaient de dix bases militaires au Rojava (dont deux bases aériennes), qu’ils avaient des accords avec l’armée de l’air russe et l’armée russe en général, ainsi qu’avec les massacreurs du gouvernement de Damas (par le biais de « chambres d’opération » pour coordonner les activités militaires entre les trois armées)…

Le prolétariat en tant que classe révolutionnaire n’a aucun intérêt à affronter frontalement l’État et ses appareils centraux de répression. Ce que nous devons développer au contraire, c’est le défaitisme révolutionnaire, c’est-à-dire pousser à la dissolution des armées bourgeoises (surtout en affaiblissant sa discipline et sa cohérence), par la violence bien sûr, par l’action directe, le sabotage, la grève généralisée et insurrectionnelle… dans les armées, les usines, les mines, les bureaux, les écoles… partout où nous subissons l’exploitation de ce monde de mort et de misère… mais aussi par la force et l’énergie du mouvement développant ses perspectives de classe. N’oubliez pas une chose les amis, c’est que là où il y a des avions et des navires de guerre, des mitrailleuses et des missiles et des gaz toxiques pour réprimer notre mouvement de classe, derrière eux il y a encore et toujours des hommes et des femmes qui doivent les produire, les acheminer vers leur destination, remplir les réservoirs de carburant… C’est le devoir des prolétaires en lutte d’empêcher la machine de guerre de tuer nos frères et sœurs, d’empêcher le système de production de fonctionner…

Rappelons aussi qu’historiquement, après toute défaite prolétarienne, le Capital se donne les moyens matériels de transformer en énergie contraire, en énergie visant à renforcer son rapport social, l’énergie prolétarienne initiale si pas de destruction de ce rapport social, du moins de remise en cause de celui-ci. Le Capital se nourrit de nos révoltes, de nos défaites, il adopte le vocabulaire du prolétariat, ses drapeaux, ses consignes (en prenant bien soin de les vider de leur véritable contenu subversif) pour attirer à lui, dans son camp, les prolétaires désorientés par la défaite mais encore vindicatifs. Le drapeau rouge ainsi déployé par des bourgeois « rouges » attire les prolétaires toujours en luttent mais qui sont ainsi appelés à se contenter de quelques oripeaux, de quelques ersatz de révolution…

Cette « démocratie sans État » (Abdullah Öcalan, 2010), cet « État sans État », cette « autonomie démocratique », ce « confédéralisme démocratique », c’est encore et toujours un État, au sens que la critique communiste donne à ce concept. C’est-à-dire le rapport social existant, l’état des choses présent, et donc l’organisation en actes de ce rapport, en vue de son élargissement et de sa perpétuation. Et sans l’émergence d’une révolution qui balaie l’ordre ancien, ce rapport social, cet état de choses ne peut être et demeurer que celui des capitalistes, quelles que soient les réformes qui lui donnent l’apparence d’une forme différente, améliorée. Le capitalisme se réforme en permanence… Il lui arrive même de se « révolutionner », mais cette « révolution », avec ses soubresauts (se traduisant par des dizaines de millions de morts) qui sont d’une extrême violence pour les exploités bien sûr mais aussi parfois pour certaines fractions concurrentes et/ou obsolètes de la classe des capitalistes, n’est jamais qu’une « révolution » au sein même des rapports sociaux qu’il s’agit de renforcer et d’élargir.

Il serait fatal de confondre un mouvement social ainsi que son processus avec sa direction bourgeoise, une révolution prolétarienne avec la contre-révolution, la libération sociale avec la libération nationale (le « national-social libérationnisme »), une dynamique militante contre la dictature de l’état des choses présent avec une série de mesures réformistes visant à consolider cet état des choses, ce dernier apparaissant évidemment sous un déguisement renouvelé, avec de nouvelles étiquettes et avec des institutions et des idéologies relookées comme les « assemblées populaires », les « coopératives », le « confédéralisme démocratique », l’« économie sociale », la « libération des femmes », etc. et rendant finalement plus acceptable le fait que les opprimés participent à leur propre oppression, les aliénés à leur propre aliénation, les exploités à leur propre exploitation…

D’aucuns diront que nous sommes obsessionnellement « anti-Rojava » ou que nous nions l’existence de la « Révolution au Rojava ». Loin s’en faut, nous ne sommes pas plus « anti-Rojava » que nous sommes effectivement anti-France ou anti-USA ou anti-tout-autre-État-Nation.

La position des communistes et des anarchistes est claire : que crèvent tous les États capitalistes, que crève l’État turc et sa répression féroce contre les populations insurgées du sud-est du pays et ailleurs, que crève l’État syrien et ses massacres, que crèvent les États des USA, de l’UE, des monarchies du Golfe, de la Russie et de l’Iran, et que crèvent aussi tous les États « progressistes » et gauchistes : Cuba, Venezuela, Bolivie ainsi que les « proto »-États comme le Rojava et l’État Islamique…

Quant à la véritable révolution au Rojava, nous en sommes évidemment d’éminents partisans, tout comme pour la révolution au Moyen-Orient et partout ailleurs dans le monde. Nous sommes pour une révolution sociale mondiale, et donc anticapitaliste, qui abolira la propriété privée, l’État, les classes sociales, les religions, etc.

Guerre de Classe – Été 2021

Publié dans solidarité

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