LA VIE HOSTILE ET ÉTRANGÈRE, L’ALIÉNATION

Publié le par Feignasse irrécupérable

 

L’ouvrier devient d’autant plus pauvre qu’il produit plus de richesse, que sa production croît en puissance et en volume.

L’ouvrier devient une marchandise d’autant plus vile qu’il crée plus de marchandises.
La dépréciation du monde des hommes augmente en raison directe de la mise en valeur du monde des choses.

Le travail ne produit pas que des marchan­dises ; il se produit lui-même et produit l’ouvrier en tant que marchandise, et cela dans la mesure où il produit des marchandises en général.

Ce fait n’exprime rien d’autre que ceci : l’objet que le travail produit, son produit, l’affron­te comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur.

Le produit du travail est le travail qui s’est fixé, concrétisé dans un objet, il est l’objectivation du travail.

L’actualisation du travail est son objectivation.

Au stade de l’économie, cette actualisation du travail apparaît comme la perte pour l’ouvrier de sa réalité, l’objectivation comme la perte de l’objet ou l’asservissement à celui-ci, l’appropriation comme l’aliénation, le dessaisissement.

La réalisation du travail se révèle être à tel point une perte de réalité que l’ouvrier perd sa réalité jusqu’à en mourir de faim.

L’objectivation se révèle à tel point être la perte de l’objet, que l’ouvrier est spolié non seulement des objets les plus nécessaires à la vie, mais encore des objets du travail.

Oui, le travail lui-même devient un objet dont il ne peut s’emparer qu’en faisant le plus grand effort et avec les interruptions les plus irrégulières.

L’appropriation de l’objet se révèle à tel point être une aliénation que plus l’ouvrier produit d’objets, moins il peut posséder et plus il tombe sous la domination de son produit, le capital.

Toutes ces conséquences se trouvent dans cette détermination, l’ouvrier est à l’égard du produit de son travail dans le même rapport qu’à l’égard d’un objet étranger.

Car ceci est évi­dent par hypothèse : plus l’ouvrier s’extériorise dans son travail, plus le monde étranger, objec­tif, qu’il crée en face de lui, devient puissant, plus il s’appauvrit lui-même et plus son mon­de intérieur devient pauvre, moins il possède en propre.

Il en va de même dans la religion. Plus l’homme met de choses en Dieu, moins il en garde en lui-même.

L’ouvrier met sa vie dans l’objet. Mais alors celle-ci ne lui appartient plus, elle appartient à l’objet.

Donc plus cette activité est grande, plus l’ouvrier est sans objet [« gegenstandslos » en allemand]. Il n’est pas ce qu’est le produit de son travail. Donc plus ce produit est grand, moins il est lui-même.

L’aliénation de l’ouvrier dans son produit (la dépossession de l’ouvrier au profit de son produit) signifie non seulement que son travail devient un objet, une existence extérieure, mais que son travail existe en dehors de lui, indépendamment de lui, étranger à lui, et devient une puissance autonome vis-à-vis de lui, que la vie qu’il a prêtée à l’objet s’oppose à lui, hostile et étrangère.

Karl Marx, Manuscrits de 1844, extraits.

 

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