JEUNESSE EN PÉRIL

Publié le par Collectif Feignasse

 

Le temps du flower power est bien révolu, où tout semblait bon à vivre pourvu que ce fût par amour... Aujourd’hui, au nom d’un intégrisme de la vertu drapé dans les débris de l’humanisme bourgeois, l’heure est à la méfiance et au rejet de l’autre. Les différences font peur. Parées d’atours progressistes, les nouvelles éminences grisâtres du moralisme, de gauche comme de droite, s’acharnent à planifier la vie quotidienne des êtres humains, tous obligés d’être consommateurs et citoyens, l’oeil rivé sur les modèles de comportement élaborés par les spécialistes du marketing.

Pubs, discours idéologiques, ritournelles politiques, sermons religieux, concourent avec un bel ensemble à la fabrication d’un type unique de « bon » citoyen, applicable à quiconque, quelle que soit sa personnalité, son histoire et sa culture.
Jamais, depuis la chute de l’Union dite Soviétique, les fondements du stalinisme n’ont autant répandu leur venin totalitaire dans la politique et les discours officiels. De l’extrème droite à l’extrème gauche en passant par toutes les nuances du rose et du bleuté, les staliniens de la vie courante se mêlent de planifier le quotidien. Depuis le premier rot du nourrisson jusqu’au dernier pet de l’agonisant, la moindre des émotions humaines doit désormais être catégoriée, codifiée, légiférée, voire psychiatrisée (à la façon soviétique de s’occuper des minorités). L’écologie politique, dernière venue sur le terrain de la mise en scène idéologique, fournit enfin les ultimes arguments qui permettront de faire de l’ensemble du vivant un objet de marché et de réglementation.

Dans le « nouvel ordre mondial » inauguré après la chute du mur de Berlin, l’ex-URSS a pris le pire de la démocratie et l’Occident s’est mis à appliquer les méthodes staliniennes de conditionnement. La vie sous tous ses aspects est devenue une marchandise. L’enfance, en tant que premiers pas dans l’existence, au lieu d’ouvrir sur l’autonomie de l’individu, doit alors composer, de gré ou de force, le brouillon de la copie conforme exigée ensuite de tout citoyen dans sa manière d’être. Il semble que les enfants sages des rallyes bourgeois ou des soirées de la gauche caviar, à l’avenir garanti par les relations et la fortune de papa-maman, soient désormais les exemples-types en fonction desquels les institutions jugent tous les autres. C’est dire le peu de chance, pour un gosse de prolétaire, d’obtenir une note satisfaisante à l’examen de conscience réalisé par les institutions. Car les élites au pouvoir, comme d’habitude, ne font l’éloge du mérite (notamment à l’école) que pour mieux encenser elles-mêmes leur propre réussite.

Cette lutte contre la vie, ultime avatar du darwinisme social et de l’idéologie de la compétition, conduit nécessairement à une guerre permanente contre l’enfance et l’adolescence. Les Etats totalitaires ont toujours mis en oeuvre des politiques destruction de l’enfance, notamment par l’enrôlement obligatoire des jeunes dans des machines à uniformiser (Hitlerjungend ou Jeunesses Communistes). Les pays encore sous domination militaire ne se privent d’ailleurs pas de poursuivre dans cette voie. Les jeunes pauvres étant virtuellement plus dangereux pour l’ordre établi, parce que plus difficiles à conditionner, on entreprend parfois de les massacrer systématiquement (comme au Honduras, où des milliers d’enfants des rues ont été éxécutés par les paramilitaires) ou de les criminaliser afin de les envoyer en centres de détention (comme aux Etats-Unis, où un jeune Noir sur trois connaît la prison).

Apprendre à étouffer sa vie pour la soumettre aux lois du marché prend en Occident des voies plus pernicieuses. La propagande y revêt des formes détournées, véhiculées par la pub, les animations et les séries télévisées, les discours politiques, l’information, etc. La protection de l’ordre établi contre les dangers de l’enfance y est souvent déguisée en action de l’ordre pour la protection de l’enfance en danger. De leur point de vue, le bonheur joyeux, l’exubérance, le trop-plein de vie, le plaisir, l’insouciance, sont des démons qui guettent la jeunesse afin de la précipiter dans des conduites incompatibles avec la logique de la productivité compétitive.

On protège alors la société contre les périls de l’anarchisme juvénile (dont l’exercice sans règle de la camaraderie est une des formes les plus évidentes). On enferme les enfants rebelles, comme s’ils étaient plus dangereux que des gangsters. On invente des couvre-feux pour les moins de treize ans. On criminalise les enfants fugueurs. On interdit les rassemblements musicaux de jeunes non encadrés. On traque les jeux sexuels des jeunes, surtout partagés, comme des troubles de l’ordre public. On contraint les parents à devenir répressifs, à l’aide de sanctions disciplinaires ou financières. On juge comme des malfrats les lycéens frondeurs et impertinents. Jamais la pédophobie, ou « haine des enfants », n’a été si grande que dans cet univers carcéral aseptisé qui sert de modèle aux métropoles du capitalisme victorieux.

Une société qui voit ainsi des ennemis potentiels dans ses propres enfants n’est plus vraiment digne d’être appelée « humaine ». L’empêcher d’empoisonner le mental et les émotions des habitants de la planète devient une nécessité vitale. Avec humour, joie, plaisir et dérision, bien sûr. Car la tristesse des politiques est le masque de malheur de leurs trahisons. Il nous faut lire le monde avec des yeux neufs. Voir dans la misère autre chose que la misère. Discerner la part de civilité portée dans l’impertinence et celle d’incivilité que génère la soumission. Proclamer haut et fort que la discipline n’est que la force des armées et que ni la liberté, ni l’égalité, ni la fraternité, n’en ont besoin.

Paul, 2004

http://inventin.lautre.net/contributions.html#anchorjeunesse

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