TROP-PERÇUS À PÔLE EMPLOI

Publié le par Feignasse irrécupérable

 

LA COUR DE CASSATION REMET LES PENDULES À L’HEURE

Pôle emploi n’a pas le droit de prélever les allocations-chômage pour récupérer un trop-perçu qui est contesté. C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans un récent arrêt. Une victoire pour le demandeur d’emploi concerné et une porte ouverte à la contestation de ces pratiques de recouvrement abusives.

« C’est une décision qui va faire date ! », se félicite l’avocat Rémi Ruiz. Il se satisfait de la victoire de son client, Jacques*, 53 ans, engagé dans un bras de fer avec Pôle emploi depuis 2019. Et salue une décision importante de la plus haute juridiction française car « il n’y avait aucune jurisprudence sur le sujet ».

Les trop-perçus, autrement appelés « indus » peuvent être un véritable cauchemar pour les personnes privées d’emploi. Ce sont des sommes que Pôle emploi considère leur avoir versées par erreur et pour lesquelles un remboursement est réclamé. L’erreur peut venir de l’institution comme des particuliers au chômage ayant fait un mauvais calcul, ou omis de signaler un changement de situation.

Tout trop-perçu peut être contesté, dans un délai de deux mois après sa notification. Dans ce cas, Pôle emploi n’a pas le droit de procéder à des retenues sur les allocations. C’est précisément ce que vient de rappeler la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 23 juin 2022. Elle a jugé que Pôle emploi était en tort, en ayant amputé, par deux fois, les allocations-chômage de Jacques pour récupérer une somme trop perçue, dont il contestait pourtant le fondement. Il avait engagé un recours, dans les délais impartis mais ses allocations ont été prélevées durant cette phase
de recours.

1,7 MILLIARD DE TROP-PERÇUS NOTIFIÉS EN 2021

Ce fameux mois de décembre, Jacques est accusé d’avoir fait une fausse déclaration, conduisant au déclenchement du trop-perçu. Le quinquagénaire avait travaillé, moins de la moitié du mois, pour une collectivité locale mais ne l’avait pas immédiatement déclaré. Et pour cause : en fin de mois, il n’avait perçu ni salaire, ni fiche de paie, ni même contrat de travail pour sa mission. Son contrat ne lui avait été remis que fin janvier 2019. Quant à la paye, elle était arrivée sur son compte bancaire… deux mois après le début de son contrat.

Jacques était donc « dans l’incapacité de préciser, lors de son actualisation de décembre, le nombre d’heures [travaillées] ainsi que sa rémunération », souligne son avocat, insistant sur l’absence totale de volonté de fraude.

Le cas de Jacques n’est d’ailleurs pas isolé. Comme Mediapart l’a déjà documenté , nombre de travailleuses et travailleurs alternant des contrats précaires rencontrent cette problématique. Tous les mois, Pôle emploi leur demande d’évaluer leur revenu des trente jours précédents. Mais sans cette information précise, des approximations ou des oublis peuvent provoquer des trop-perçus.

Le sujet est loin d’être anodin. En 2021, près de 1,7 milliard d’euros ont ainsi été réclamés à des personnes inscrites à Pôle emploi, selon les chiffres de l’Unedic. Cela représente 4,8 % du montant total des allocations versées, au titre de l’assurance-chômage (35,4 milliards en 2021). À la clôture de l’exercice 2021, plus de 836 millions d’euros avaient été récupérés.

LE « TOUT INFORMATIQUE » EN QUESTION

Le médiateur affirme également que « de telles situations », celle vécue par Jacques, ont peu à peu disparu depuis deux ou trois ans. Même constat sur le respect du montant des sommes saisies. « Désormais, c’est exceptionnel. D’ailleurs, j’ai interrogé mes services et ils n’ont récemment eu aucune remontée sur le sujet. »

Pierre Garnodier, du comité national CGT des travailleurs privés d’emploi et précaires, ne partage pas tout à fait cet avis. « Le non-respect de la période légale de recouvrement se produit encore à Pôle emploi. Cela arrive aussi avec les radiations, d’ailleurs. Des personnes sont radiées alors que la phase de recours n’est pas terminée ! »

Reste une question : comment expliquer que Pôle emploi ait ainsi prélevé les allocations de Jacques, sans respecter sa propre réglementation ? « Pas de commentaire », répond encore l’institution à Mediapart. Jean-Louis Walter, lui, a sa petite idée. La réponse tient en deux mots : « Automatisation et dématérialisation. » « Parfois, quasiment plus personne n’a la main sur le système ! Si le bouton informatique est lancé, c’est compliqué de revenir en arrière. Parfois, des directeurs d’agence nous disaient : “Vous avez raison, mais je n’ai pas la main pour corriger l’erreur.” » Le médiateur assure toutefois que des correctifs ont, depuis, été intégrés aux systèmes informatiques, pour limiter voire supprimer ces anomalies.

LA CAF, DANS LE VISEUR

Du côté de la CGT, Pierre Garnodier en est également persuadé : Pôle emploi ne viole pas sciemment sa réglementation mais est dépassé par le « tout informatisé ». « Pour les agents, c’est une réelle perte de sens mais pour les privés d’emploi, ça peut passer pour du racket à gogo ! »

Quant à Jacques, il confie son immense satisfaction de voir son affaire rejugée et espère inspirer d’autres personnes privées d’emploi, n’osant pas contester des décisions qui leur semblent arbitraires. « Moi, j’ai décidé de lever le poing et de dire “ça suffit”. Pôle emploi, on les aime bien, mais ils ne peuvent pas se comporter ainsi ! »

Son avocat voit désormais plus loin : « Cet arrêt de la Cour de cassation est vraiment intéressant pour les droits des assurés. » La CGT, qui salue une « décision historique », entend bien aussi s’en emparer et l’élargir à toutes les situations dans lesquelles les administrations effectuent des retenues, « sans avoir délivré de contrainte ni de mise en demeure ». Dans son viseur : la CAF, caisse d’allocations familiales, « qui doit respecter
la même procédure de recouvrement [que Pôle emploi] mais qui la nie systématiquement ».

Cécile Hautefeuille (extraits)
https://www.mediapart.fr/

Publié dans Travail

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